À Angers, la Nuit du Bien commun divise et suscite la polémique
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À Angers, la Nuit du Bien commun divise et suscite la polémique

À Angers, la Nuit du Bien commun, présentée comme un rendez-vous caritatif destiné à financer des associations locales, divise profondément. Si certaines structures y voient une opportunité précieuse, des organisations dénoncent un « cheval de Troie idéologique », lié au milliardaire catholique conservateur Pierre-Édouard Stérin.

Le Centre de congrès accueille ce soir la Nuit du Bien commun. – © Angers.Villactu.fr

Ce mercredi 1er octobre, Angers accueillera pour la première fois la Nuit du Bien commun. Cette soirée caritative, organisée au Centre des congrès, vise à récolter des dons pour des associations angevines.

Mais derrière l’événement, des voix s’élèvent, pointant son héritage et ses réseaux. En toile de fond, l’ombre du milliardaire Pierre-Édouard Stérin, cofondateur de l’évènement, dont les engagements politiques et idéologiques font débat.

Un événement caritatif sous tension

Créée en 2017, la Nuit du Bien commun a fait escale dans plusieurs villes françaises. Le principe est simple : des associations locales présentent leurs projets à des mécènes qui donnent en direct. L’initiative, qui se veut festive et généreuse, revendique sa neutralité.

« La Nuit du Bien Commun a été créée pour favoriser le dialogue entre donateurs et associations qui ont besoin de financement, rappelle un porte-parole de l’organisation, qui souhaite garder l’anonymat. Les associations candidates passent par un processus de sélection en ligne et viennent pitcher leur projet devant un jury local et indépendant. Chaque euro donné va directement à l’association, sans marge pour l’organisation ».

Mais à Angers, comme dans de nombreuses villes telles que Nantes et La Rochelle, l’événement est loin de faire consensus. Depuis plusieurs semaines, des affiches sont collées dans les rues et des appels à mobilisation circulent sur les réseaux sociaux, en opposition à la tenue de l’événement.

Depuis la création de la Nuit du Bien Commun, le profil de son fondateur concentre les attaques de ses détracteurs. Âgé de 50 ans, ancien patron de Smartbox et fondateur de la holding Otium Capital, Pierre-Édouard Stérin a investi sa fortune dans un ambitieux projet philanthropique, le Fonds du Bien commun. Mais ses engagements dépassent largement le champ caritatif.

En 2024, L’Humanité révélait son rôle dans la création du mouvement Périclès (acronyme de patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens, libéraux, européens et souverainistes), visant à renforcer l’ancrage de personnalités de droite radicale aux municipales. L’année dernière également, Le Monde montrait encore comment il cherchait, aux côtés de Vincent Bolloré, à « unir les droites » autour d’un projet idéologique. Il y a quelques jours, il est apparu dans un trio d’investisseurs prêts à racheter Valeurs actuelles.

« Une offensive de contrôle des associations »

Pour la Ligue des droits de l’homme (LDH 49), la Nuit du Bien commun s’inscrit dans une stratégie politique plus large. « Derrière la Nuit du Bien commun, on voit une offensive de contrôle des associations, explique Patrick Stephan, membre du bureau de la LDH 49. Depuis la loi du 24 août 2021 sur les associations, il y a eu un musèlement de certaines structures, et la région comme le département favorisent des organisations traditionalistes catholiques. »

Il souligne un « manque énorme de transparence et d’égalité », et accuse des « réseaux financiers d’extrême droite » de s’immiscer dans le monde associatif : « C’est une stratégie de cette droite catholique identitaire : se donner une image caritative pour mieux faire passer une idéologie. »

S’il reconnaît que certaines associations « n’ont pas l’impression d’être lésées », il dit « comprendre leur choix » : « Elles ont besoin d’argent pour leurs actions. Mais d’autres préfèrent ne pas pactiser avec le diable et garder leur indépendance. »

La LDH prévient : « Nous ne sommes pas pour les annulations de ces événements. Ce que nous voulons, c’est attirer l’attention sur le fait que ce dispositif est inégalitaire et que les gens derrière ne sont pas laïques. Ce sont des catholiques identitaires, anti-IVG, proches de la Manif pour tous. »

Les critiques ne viennent pas seulement de milieux laïques ou militants. Le Collectif catholique Paix se montre lui aussi réfractaire. « Nous sommes opposés à Pierre-Édouard Stérin depuis un moment. Son influence et son argent ont un impact néfaste, non seulement sur la société avec son engagement aux côtés du Rassemblement national, mais aussi au sein de la communauté catholique », dénonce un de ses membres.

Pour ce collectif, le lien entre la Nuit du Bien commun et son fondateur reste indissociable : « La Nuit du Bien commun est rattachée à Pierre-Édouard Stérin, même s’ils disent aujourd’hui qu’il n’y a plus de lien. Le fonds du Bien commun, c’est lui. À la base, c’est son argent. À terme, notre objectif est clair : que cet événement n’existe plus. C’est une soirée soi-disant caritative, financée par un milliardaire d’extrême droite catholique. Il faut que ça s’arrête », poursuit-il.

Les associations lauréates, entre nécessité et prudence

Du côté des structures bénéficiaires, le discours est tout autre. L’association Providentielles, qui accompagne des femmes isolées, assume sa participation. « Nous avons déjà participé à la Nuit du Bien commun à Nantes il y a deux ans. Cela nous a permis de réunir pas mal de dons », explique sa coordinatrice, Marie de Nanteuil.

À Angers, cette participation doit contribuer à financer une maison accueillant cinquante femmes et quinze coworkeuses. « La maison fonctionne comme un tremplin : en venant ici, les femmes trouvent des forces dans le collectif, participent aux ateliers, échangent, rient, et repartent avec de nouvelles idées et de la confiance », ajoute la coordinatrice.

Consciente des critiques, l’association défend son choix : « Nous savions que participer à cet événement pouvait susciter des critiques à cause des polémiques autour de certaines personnes impliquées par le passé. Mais aujourd’hui, ces individus n’ont plus aucun rôle dans l’organisation. Pourtant, nous recevons des messages qui nous demandent de nous retirer de l’événement », affirme-t-elle. La Nuit du Bien commun est aconfessionnelle, apolitique, et a pour but d’aider les associations locales à continuer à grandir ».

Huit autres organisations sont également lauréates de cette édition angevine de la Nuit du Bien commun, dont Tombée du Nid, Saint Jean d’Espérance, S.O.S Calvaires, Les Talents d’Eloi, Lazare, la Ferme pédagogique d’Orveau, Au Cœur des autres, ainsi que 60 000 Rebonds.

Pierre-Édouard Stérin « n’a plus aucun rôle »

Face aux accusations, les organisateurs affirment leur indépendance. « Concernant les critiques liées à Pierre-Edouard Stérin, cofondateur historique de la Nuit du Bien Commun : il n’a plus aucun rôle opérationnel ni administratif depuis mai dernier. Il n’est, par ailleurs, pas mécène et ne vient pas aux événements, assure le porte-parole. Les polémiques autour de sa personne ne reflètent pas la réalité de l’événement aujourd’hui ».

Pour eux, les attaques se basent sur « quelques cas isolés ». « Certaines associations lauréates peuvent avoir un lien avec la religion, mais la grande majorité n’ont aucun lien confessionnel ou politique », insiste l’organisation.

L’affaire a fini par s’inviter au conseil municipal. L’élue d’opposition Céline Véron (Place Publique) a interpellé le maire sur ce qu’elle décrit comme « un cheval de Troie idéologique ». Christophe Béchu a répondu que la Ville d’Angers « ne sera pas représentée à titre public lors de l’événement. Si des élus s’y rendent, ce sera à titre personnel ».

La Nuit du Bien commun se déroulera ce mercredi 1er octobre, à 19 h, au Centre de Congrès. Un rassemblement, porté par une quinzaine d’associations, est prévu avant l’ouverture de la soirée à 18 h 30, sur le parvis de la mairie d’Angers.

Par Eline Vion.

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