Le 8 avril dernier, après plusieurs mois de travail, le rapport parlementaire sur « les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance » dressait un constat alarmant de la situation. Dans le Maine-et-Loire, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer un système en faillite.

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer la situation des enfants placés – © Adobe Stock
Pendant près d’un an, des élus de tous horizons, rassemblés au sein d’une commission d’enquête, ont travaillé sur « les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance ». Le rapport, rendu public le 8 avril dernier, dépeint un secteur en grande difficulté. Il qualifie l’État de « premier parent défaillant de France », pointant du doigt une absence de vision globale pour l’enfance.
Ce rapport montre notamment que le nombre de mesures d’aide sociale à l’enfance a très fortement augmenté. En 2023, environ 397 000 mesures étaient en cours, représentant une augmentation de 44 % depuis 1998.
« La situation ne cesse de se dégrader depuis une dizaine d’années. Il y a un nombre croissant d’enfants qui devraient être placés mais qui ne le sont pas faute de place », avance Martin Nivault, éducateur spécialisé au sein d’une association de protection de l’enfance à Angers et délégué syndical chez Sud Santé Sociaux.
« Une situation dramatique »
Sylvie Moreau est agent de médiation, spécialisée en protection de l’enfance. Chaque jour, elle parcourt la France entière pour accompagner des familles dont les enfants ont été placés. Les constats qu’elle fait sur le terrain ne font que confirmer les conclusions de la commission d’enquête composée de trente députés.
« La situation est dramatique. Il y a de plus en plus de placements, au détriment de solutions alternatives. Il y a besoin de la protection de l’enfance, mais pas comme le système fonctionne actuellement », regrette-t-elle.
Des alternatives au placement
Parmi ces solutions alternatives figurent l’AEMO (Action éducative en milieu ouvert) qui vise à accompagner l’enfant et sa famille à domicile, avec l’intervention régulière d’un éducateur ; l’AED (Aide éducative à domicile) ; le placement chez un proche afin que l’enfant ne rompe pas les liens familiaux ; l’accueil séquentiel ou modulable qui permet que l’enfant passe une partie du temps en structure ou en famille d’accueil et l’autre chez ses parents, ou encore l’intervention d’équipes mobiles de soutien intensif à domicile.
Le rapport parlementaire publié le mois dernier recommande d’ailleurs de renforcer les alternatives au placement, notamment en développant des mesures éducatives à domicile ou en valorisant l’accueil chez un tiers.
« Les enfants placés perdent souvent tous leurs repères. Ils doivent changer d’établissement scolaire ou de club de sport. Ils sont généralement séparés de leurs frères et sœurs et voient peu les membres de leur famille », s’indigne Sylvie Moreau.
« Le placement est devenu la norme »
Après une longue carrière dans le secteur de la protection de l’enfance, notamment en tant que directeur de plusieurs établissements, puis en tant que consultant-formateur-médiateur, Jean-Louis Deshaies, a vu la situation se dégrader. « Nous sommes passés d’une période de l’éthique et du qualitatif à une époque du quantitatif et du normatif », raconte celui qui vient de publier un livre intitulé « Le travail social a-t-il encore du sens ? ».
Maître Véronique Levrard, avocate, experte en droit de la famille et en assistance éducative à Angers depuis 1996, a assisté à l’évolution du secteur de la protection de l’enfance : « Quand j’ai commencé ma carrière, il y avait beaucoup plus de suivis éducatifs et moins de placements. »
De son côté, Jean-Louis Deshaies n’hésite pas à dire qu’il y a parfois « des placements abusifs ». En tant qu’agent de médiation, Sylvie Moreau abonde en ce sens : « Des évaluations menées par des professionnels de la Cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) durent parfois à peine trente minutes. Les décisions sont prises rapidement sans interroger toutes les personnes qui devraient l’être. »
Pour maître Véronique Levrard, « le placement n’est plus exceptionnel, il est devenu la norme. Il y a évidemment des placements injustifiés. Le juge des enfants intervient parfois sur la base d’éléments qui peuvent être erronés, car certaines enquêtes sont exclusivement à charge ».
Des structures qui ne protègent plus ?
Le récent rapport indique que les enfants placés subissent souvent un « continuum de violences, depuis leur foyer familial jusqu’aux institutions censées les protéger ». Parmi les chiffres marquants émanant de ce rapport, deux d’entre eux soulignent les nombreuses failles du système : « Environ 15 000 mineurs pris en charge auraient recours à la prostitution et 45 % des jeunes de 18 à 25 ans sans domicile fixe proviennent de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) », est-il écrit dans le rapport.
« On se rend compte qu’un enfant placé n’est pas forcément un enfant protégé. Certains subissent des violences ou des abus sexuels après leur placement », souligne Sylvie Moreau.
Toujours selon le rapport publié début avril, « les enfants pris en charge par l’ASE présentent des taux plus élevés de maladies cardiovasculaires, respiratoires et de cancers, ainsi que des troubles du sommeil, des conduites alimentaires dangereuses et des états dépressifs ».
Dans certaines structures, la situation serait particulièrement alarmante. Benjamin* est éducateur spécialisé dans une structure du département qui accueille des adolescents placés âgés de 13 à 18 ans : « Un droit d’alerte a été déposé. Des jeunes ont volé les clés de la structure et peuvent faire ce qu’ils veulent car la direction n’intervient pas. La porte d’entrée est cassée et permet à n’importe qui d’aller et venir. Par ailleurs, il y a un important turn-over chez les surveillants de nuit. Le manque de surveillance fait que certains enfants ont des relations sexuelles entre eux dans les chambres. Si cela avait lieu dans une famille, les enfants seraient retirés. Aujourd’hui, la structure pourrait être fermée. Il y a beaucoup de désarroi chez les professionnels. »
Des professionnels à bout
Le rapport des parlementaires estime que le secteur fait face à une pénurie de « 30 000 professionnels du médico-social, affectant la qualité de l’accompagnement ».
Usure, manque de reconnaissance, faible rémunération, ou perte de sens, ils seraient de plus en plus nombreux à jeter l’éponge. « Des professionnels qualifiés s’en vont car ils n’en peuvent plus. En conséquence, nous avons des structures qui fonctionnent actuellement avec des personnes sans aucune formation. Nous n’avons plus les moyens d’accompagner correctement les enfants », note Martin Nivault.
Quelles solutions pour une meilleure protection de l’enfance ?
Dans le rapport remis par les parlementaires il y a quelques semaines, 92 recommandations sont formulées. Parmi celles-ci : la création d’un ministère de plein exercice dédié à l’enfance ; l’élaboration d’une stratégie nationale pluriannuelle pour la protection de l’enfance ; le renforcement du service social scolaire pour améliorer la détection précoce des situations à risque ; la généralisation de l’accueil familial pour les enfants de 0 à 3 ans, avec un objectif de mise en œuvre d’ici 2030 ; la création d’une commission de réparation pour les enfants ayant subi des maltraitances institutionnelles ; une revalorisation salariale et amélioration des conditions de travail pour les professionnels de l’ASE, ou encore la mise en place de formations spécialisées pour les travailleurs sociaux.
« La politique publique liée à la protection de l’enfance n’est pas au niveau. Il faut remettre sur pied l’ensemble des dispositifs », juge Anne-Laure Blin, députée de la 3e circonscription de Maine-et-Loire, qui fait partie des trente parlementaires qui ont participé à la commission d’enquête « sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance ».
Pour l’élue, il y a désormais « la nécessité d’une approche systémique et coordonnée des institutions, la formation et la valorisation de l’engagement dans les secteurs sociaux, et la garantie de la défense du contradictoire pour les enfants et les parents. Le placement est la solution de dernier recours. Pourtant, ce n’est clairement pas le cas dans la pratique ».
« Dans le secteur de la protection de l’enfance, comme dans d’autres, il y a une multitude d’entités et d’acteurs. Plus personne ne sait qui fait quoi. Cela ne permet pas une bonne efficacité du système. Il faut désormais une volonté politique pour faire bouger les lignes », conclut la députée Les Républicains.
*Prénom d’emprunt
Par Sylvain Réault.
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