À Angers, le sujet de la piétonnisation alimente les débats. Entre enjeux écologiques, sécurité piétonne et dynamisme commercial, élus et professionnels s’interrogent sur l’avenir du centre-ville.

Dans le centre-ville, les rues d’Alsace, Lenepveu, de la Roë, Saint-Aubin et Saint-Laud sont piétonnes. – © Angers.Villactu.fr
À l’heure où de nombreuses villes françaises se posent la question de la place de la voiture en centre-ville, la piétonnisation reste un sujet controversé à Angers.
Alors que dans le cadre de son réaménagement, la place Kennedy sera entièrement piétonne d’ici la fin de l’année 2025, les groupes d’opposition Aimer Angers, Angers Ecologique et Solidaire, ainsi qu’Angers en Commun, ont dénoncé à l’été 2024, soit une décennie après le début du mandat du maire Christophe Béchu, « dix ans de voiture reine dans le centre-ville avec la création et le maintien de la première heure gratuite de stationnement d’un coût de deux millions d’euros par an, sans mesure de piétonnisation de l’hypercentre ».
Si l’objectif de la piétonnisation est d’améliorer la qualité de vie urbaine, cette perspective suscite à la fois enthousiasme, prudence et inquiétude chez les commerçants du centre-ville.
Un enjeu de santé publique et de société
Contrairement à une idée largement répandue, la voiture ne serait plus le principal mode de déplacement pour les achats en centre-ville. Une étude datant de 2020 menée par le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement) révèle que dans les grandes agglomérations françaises, 74 % des clients des commerces de centre-ville s’y rendent à pied, à vélo ou en transports en commun. Seuls 24 % y accèdent en voiture. Une tendance particulièrement marquée pour les petits et moyens commerces.
L’étude va même plus loin : elle montre que les clients non motorisés consomment autant, voire davantage, que les automobilistes, notamment grâce à leur fidélité. Certes, leurs achats sont souvent plus modestes à chaque passage, mais leur fréquence est plus élevée. Autre donnée : près d’un déplacement sur trois pour un achat effectué en voiture fait moins de deux kilomètres, ce qui révèle un potentiel important de bascule vers les mobilités douces.
À Angers, ces constats scientifiques alimentent la réflexion politique. Romain Laveau, co-secrétaire du groupe Les Écologistes Grand Angers, en lice pour la primaire de Demain Angers, défend une approche résolument volontariste. « Piétonniser, c’est une nécessité. On est dans un enjeu de santé publique et de vivre ensemble », affirme-t-il, citant une statistique montrant que « les enfants ont perdu 25 % de leur capacité cardiovasculaire en 40 ans ».
Romain Laveau et son groupe évoquent notamment comme solutions « l’extension du plateau piétonnier du centre-ville, l’aménagement de zones piétonnes autour des écoles et dans certains quartiers, ainsi que le déploiement de navettes gratuites pour les personnes à mobilité réduite ». Mais l’élu insiste : « Il ne faut pas se précipiter. Ça se prépare, ça se discute, ça s’accompagne. »

Romain Laveau imagine un centre-ville davantage piéton. – © Angers.Villactu.fr
Des commerçants aux positions contrastées
Sur le terrain, les avis sont bien plus partagés. Rue Bodinier, où la circulation reste ouverte malgré la proximité de rues déjà piétonnes, plusieurs professionnels se disent favorables à une piétonnisation encadrée.
Au bar Exit Music for a Drink, Julien évoque une rue « dangereuse pour les piétons » qui mériterait « depuis longtemps » une piétonnisation. « Si la rue devait devenir piétonne, la clientèle s’adapterait », note-t-il, tout en déplorant l’inaction de la municipalité : « Je suis là depuis quatre ans, je n’ai jamais été consulté pour un éventuel changement. Jusqu’ici nous avons été chanceux qu’aucun drame n’arrive. »
Même son de cloche pour Andreas, gérant de la librairie-café Le Myriagone, qui estime que « la piétonnisation est bénéfique pour les commerces. On le voit dans toutes les villes qui l’ont adopté ». Il plaide pour une politique d’accompagnement avec une « gratuité des transports en commun, des parkings de proximité et une communication ciblée ».

À deux pas de la rue Saint-Laud, entièrement piétonne, la rue Bodinier est particulièrement dangereuse pour son manque de visibilité. – © Angers.Villactu.fr
Dans la rue Saint-Julien, qui a déjà expérimenté une piétonnisation temporaire sans succès à l’été 2024, les opinions divergent davantage.
Pour les gérants de l’épicerie Racynes, la réussite d’une rue piétonne dépend avant tout de son agencement : « Pour que les clients aient envie de se promener, il faut embellir et rendre agréable la rue avant de piétonniser ». Selon eux, ce manque d’aménagement expliquerait en partie l’échec de l’expérimentation passée, avec l’idée qu’une telle mesure dépend aussi de la nature des commerces qui composent la rue : « La piétonnisation fonctionne à Angers dans les endroits où il y a des commerces de bouche ou des bars. Dans la rue Saint-Julien, les commerces ne sont pas les mêmes que rue Saint-Laud ».
Ils pointent toutefois la dépendance à la voiture de certains clients, notamment les personnes âgées ou celles qui viennent de l’extérieur de la ville, surtout le week-end : « Le stationnement est un vrai problème et les transports ne sont pas gratuits. »
Dans la même rue, d’autres rejettent plus fermement l’idée. C’est le cas de Françoise, gérante de la boutique de lingerie de luxe Elle Aime, qui redoute un impact fatal sur son activité : « Les commerces des rues où la piétonnisation a été mise en place meurent comme à Tours, Rennes et au Mans ». Installée depuis neuf ans, elle estime que sa clientèle, souvent motorisée, serait découragée par une telle mesure.
« En 2024, la ville a testé la piétonnisation sans même consulter les commerçants, ce qui a conduit inévitablement à son échec. La rue Saint-Aubin est piétonne et pourtant les commerces ferment les uns après les autres. Ce n’est pas une solution », ajoute-t-elle.

La piétonnisation de la rue Saint-Julien a été abandonnée après quelques semaines de test. – © Angers.Villactu.fr
Chez les internautes aussi, la question divise. Si d’un côté, certains estiment qu’il faudrait piétonniser « comme à Nantes, avec tous les transports gratuits les week-ends pour désengorger le centre-ville avec davantage de parkings relais », d’autres pensent qu’une telle mesure exclurait « les familles, personnes âgées et personnes à mobilité réduite qui ont déjà du mal à se déplacer dans le centre-ville ».
Un changement de modèle… sous conditions
Pour le journaliste Olivier Razemon, auteur de plusieurs ouvrages sur la mobilité urbaine, les inquiétudes des commerçants sont compréhensibles mais souvent exagérées. « Les commerçants ont tendance à croire que leurs clients viennent comme eux dans leur boutique, c’est-à-dire en voiture », analyse-t-il. Or, les études montrent le contraire : « Une majorité vient déjà à pied ou en transport et s’adapte parfaitement bien. »
Il insiste néanmoins sur l’importance d’une transition bien pensée : « On n’est pas obligé de piétonniser du jour au lendemain. On peut tester sur les jours de marchés, l’été, les soirs de canicule, pendant les fêtes… »
Au-delà de la logistique, il défend une transformation du rapport à l’espace public : « Le regard qu’on porte sur la ville change complètement quand il n’y a plus de voitures. » Selon lui, une ville piétonne est aussi « plus attractive pour les habitants comme pour les touristes ».
« Ce que l’on remarque, c’est que dans la majorité des villes, grandes ou moyennes, où la piétonnisation a été appliquée, elle a fonctionné, malgré les réticences des commerçants. Une piétonnisation entraîne souvent une mutation des commerces, un phénomène naturel qui inquiète les commerçants, mais qui reste inévitable et très souvent fructueuse », conclut-il.
Par Eline Vion.
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